Dans mon département, comme dans tous sans doute, il y a un hôpital psychiatrique dont le nom à lui seul est une menace. Il porte un nom de lieu et quand on dit "untel est à R.", c'est comme dire qu'il est à Ste Anne pour Paris ou à St Venant pour le Pas-de-Calais, ça veut tout dire.
Tous les ans, quand j'étais à l'école de musique, nous allions passer un après-midi avec les enfants de cet hôpital. Nous prenions le bus avec nos instruments puis installions nos pupitres dans une grande salle. Ensuite, nous faisions un concert de musique de chambre pour les enfants et quelques soignants qui les accompagnaient.
Puis venait le moment du goûter pris tous ensemble. Je me souviens de salade de fruits en conserve accompagnée de gâteaux en forme d'éventail. Nous faisions connaissance avec nos voisins de table et finissions l'après-midi en discutant entre jeunes.
J'imagine que les enfants qui venaient nous voir étaient sélectionnés parmi les cas les moins graves ou les plus calmes. J'étais jeune et je ne connaissais rien du monde de la psychiatrie. Peut-être y avait-il quelques anorexiques, des dépressifs, des trisomiques, des enfants un peu handicapés mais sans rien de très choquant pour des gens venant de l'extérieur.
Je me souviens d'avoir discuté avec un garçon au sujet de nos chanteurs préférés et nous avions fait le projet de nous échanger des posters de nos idoles de l'époque.
Je me souviens surtout d'une question qu'il m'a posée. "Et toi, tu retournes chez tes parents tous les combien de temps ?". Je ne me rappelle plus ma réponse, j'ai dû noyer un peu le poisson pour ne pas l'attrister, mais je n'ai jamais oublié sa question. Un peu comme celle du type qui regarde au-dessus du mur de l'asile où il est enfermé et demande "vous êtes combien là-dedans ?". Toujours la question de savoir de quel côté du mur on est, finalement.