dimanche 29 novembre 2009

Hier j'ai vu ma nièce Juliette, jeune instit de 25 ans enthousiasmée par son travail, qui se pacse mercredi avec son chéri Allemand et a un coeur d'or. Cette petite adore parler de la famille avec moi, allez savoir pourquoi. Et donc hier, on s'est encore tapé une discussion sur ce thème et forcément, ça remue toujours des choses. Je pense qu'elle aime en parler avec moi parce que je déteste les non-dits et je préfère sauter à pieds joints dans le plat plutôt que sourire poliment et prétendre que tout va bien.
Nous sommes quatre enfants, deux garçons et deux filles. Mon frère aîné a dix ans de plus que moi, c'est un intellectuel très brillant qui n'a pas la vie qu'il aurait voulu avoir, et donc qui ne va pas très bien. Surtout qu'un intellectuel vraiment intello, ça pense beaucoup trop et ça s'écoute tout autant. Mon deuxième frère a huit ans de plus que moi, il vit aux Etats-Unis et c'est un peu mon alter ego, on est aussi proches de coeur qu'on est loin en kilomètres. Ma soeur a quatre ans de plus que moi, j'ai longtemps cru m'entendre parfaitement avec elle jusqu'à ce que je comprenne qu'on ne parlait jamais de choses personnelles, donc qu'on était en fait très éloignées. Elle est charmante, très gentille, la parfaite bobo qui tomberait des nues si on lui disait qu'elle est l'archétype de la bobo. Fonctionnaire de la culture, mangeant exclusivement bio, signant des pétitions contre les OGM, craignant par dessus tout les émotions et cadenassée derrière son sourire, tout en ayant l'impression d'être très ouverte. Qui trouve "Le père Noël est une ordure" vulgaire, je suppose que la critique de Télérama n'était pas bonne.
Bref, Juliette adore la famille et adore en parler, et ça a encore remué les histoires de blessures inguérissables des enfants qui croient que leur maman a un préféré et que c'est l'autre. C'est vrai que mon frère d'Amérique habite si loin que c'est la fête chaque fois qu'il vient. Ma maman va passer quelques jours à Paris pour le voir dès qu'il est en France, malgré ses bientôt 87 printemps. En plus il a une réussite professionnelle indiscutable, il est reconnu dans le monde entier et sillonne le monde, on ne sait jamais s'il est à Buenos Aires, Bombey, Paris, Boston ou Madrid, on en a pour des pages et des pages quand on tape son nom sur un moteur de recherche.
Bref mon grand frère souffre de cette aura autour de son frère, a l'impression d'être mal-aimé et en plus a épousé une peste jalouse qui le conforte dans cette idée.
Et moi pauvre innocente, qu'est-ce que j'ai trouvé comme idée géniale quand je me suis mariée ? J'ai demandé à mon frère d'Amérique d'être mon témoin. Pas pensé une seconde qu'il pouvait y avoir concurrence entre les deux. Mais je n'ai réalisé ça que des années après mon mariage. Et qu'est-ce que j'ai pensé, hier, en parlant avec Juliette ? Que peut-être j'avais aussi blessé ma soeur, après tout je n'avais qu'un témoin et j'en ai choisi un parmi trois.
Parfois j'aimerais être un animal, un bébé tigre que sa mère promène en l'attrapant dans sa gueule par le cou, là où il y a juste trop de peau et que ça fait une chouette poignée. Ta mère t'élève, te protège quand tu es petit, t'apprend l'essentiel, et puis vogue la galère, chacun se débrouille et oublie même qu'on s'est connus.
Moins sympa que tout l'amour qu'on peut aussi trouver dans une famille, mais tellement plus simple !

vendredi 27 novembre 2009

L'ennui


Oui finalement c'est ce qui caractérise ma vie en ce moment, l'ennui. Avec le départ des filles, je craignais la déprime, mais ça se traduit d'une façon encore plus bête que ça. Pas motivée par grand chose, ni par le boulot ni par les weekends, Olivier qui bosse tout le temps, pas la vraie déprime mais juste l'ennui. Je me retrouve à ouvrir les mêmes blogs pour la énième fois, à zapper à la télévision sur des émissions sans intérêt, à ne rien faire en fait.
On va voir un concert d'Olivia Ruiz ce soir (cadeau d'anniversaire, je ne sais pas si j'aurais choisi d'y aller) et même ça, ça me gonfle. Rentrer tard, supporter un groupe foireux en première partie, faire la queue parce que les places ne sont pas numérotées... que des faux prétextes pour ramouiller. A prononcer "raaamouiller" avec une syllabe bien longue comme le veut l'accent des Vosges profondes.
J'irais bien donner un coup de main à l'association France Alzheimer, mais je me dis qu'ils n'ont pas besoin de moi. Il y a très longtemps, j'étais allée à une réunion d'information d'ATD Quart Monde. Ils se connaissaient tous, personne ne m'a un tant soit peu accueillie, je suis repartie comme j'étais venue sans avoir dit un mot à personne. Et je n'y suis pas retournée.
Et du coup ça me fait faire des messages ennuyeux, tout cet ennui !

samedi 21 novembre 2009

La bête immonde

Tout à l'heure, alors que j'accompagnais ma plus jeune fille à la gare, la rue s'est remplie de coups de klaxon appuyés, des voitures sont passées avec des gens qui criaient et saluaient assis par la fenêtre ouverte, certains enroulés dans des drapeaux rouges et verts avec un croissant. Au milieu, j'ai vu une voiture couverte de fleurs, il s'agissait d'un mariage.
Et ma première pensée a été de me demander pourquoi ils m'agressaient avec ce bruit et ces drapeaux, comme si cette affirmation d'une identité étrangère un peu bruyante était dirigée contre ceux qui n'avaient pas le même drapeau.
Et ma deuxième pensée a été de me dire que j'avais juste à partager leur joie et à répondre à leurs saluts, que rien n'était hostile dans tout ça et que ce serait bien d'être heureux ensemble.
Mais ma troisième pensée a été de me dire que je n'avais vraiment pas à être fière de moi d'avoir eu cette première pensée, même brièvement. Et si je voulais donner une bonne image de moi, je ne publierais pas ces lignes.

mercredi 18 novembre 2009

On nous prend faut pas déconner dès qu'on est né...

J'avoue, j'aime bien écouter Le masque et la plume le dimanche soir sur France Inter. Quand j'étais étudiante, je me dépêchais de rentrer de la gare pour gagner mon studio d'étudiante et allumer la radio. Malgré le parisianisme bobo des critiques, j'écoute toujours avec plaisir, peut-être aussi parce que c'est à ma connaissance la seule émission du genre.
Mais quand même, il y a des limites. Dimanche dernier, ces messieurs-dames étaient navrés d'avoir à parler du film "Le concert" tant ils le trouvaient inepte et sans qualité. D'accord, ils n'aiment pas, c'est leur droit. Mais là où ils m'ont vraiment énervée, c'est quand ils ont tous raconté avec un ton navré et condescendant que la salle était conquise, que tout le monde pleurait d'émotion, que le film avait été applaudi par une foule enthousiaste à la fin de chaque séance. En gros, ils n'arrivaient pas à comprendre que la populace soit assez con pour être émue et conquise par ce film qui semble parler au cœur et faire du bien.
Je ne crois pas être plus idiote qu'eux, j'aime Fanny Ardant, François Truffaut et Marguerite Duras, je peux encore réciter des passages de "Erlkönig" de Goethe, j'ai étudié l'alto pendant 10 ans, je vais au théâtre régulièrement, je suis abonnée au Nouvel Obs je l'avoue, mais scrognegneu je ne vois pas de quel droit quelques critiques aigris (des ratés sympathiques, comme le chantait Charlebois) pourraient décréter qu'un film est nul et que tous ceux qui l'ont aimé sont des abrutis. Et j'aime aussi "Le père Noël est une ordure", Fernandel qui chante "Félicie aussi" et Julie Lescaut à la télé.
Finalement c'est comme pour les carottes. On dit "je n'aime pas" et pas "ce n'est pas bon". Personne ne les a donc éduqués ces gens là ?

jeudi 12 novembre 2009

Analphabète


En plus d'avoir relu La princesse de Clèves, va falloir que j'achète le dernier Marie Ndiaye. Qui aurait cru que ce président là encouragerait les Français à lire ?

mercredi 4 novembre 2009

Et si j'étais né en 17 à Leidenstadt

Mon père avait un magnifique étui de violoncelle en cuir marron-roux fait à la main par un artisan de talent. Lorsque j'étais étudiante, je prenais plaisir à me rendre à la fac avec un beau cartable usé taillé dans le même cuir et cousu par le même artisan. A l'intérieur, à l'encre violette, était écrit le nom de mon grand-père. Il y avait aussi à la maison une trousse à outils du même cuir.
Mon grand-père s'appelait Maurice. Sa mère était journalière, c'est-à-dire qu'elle était payée à la journée pour le travail qu'elle faisait de place en place, soit dans les champs, soit dans les usines qui fleurissaient dans le Pas-de-Calais de cette époque. Elle était fille-mère comme on disait quand son enfant est né, en 1889.
Mon grand-père avait commencé à travailler gamin comme ouvrier dans une distillerie. A l'époque où le paternalisme avait du bon, un dirigeant de l'usine a remarqué que ce gosse était intelligent mais n'avait pas eu la chance d'aller très longtemps en classe. Je crois qu'il s'est débrouillé pour lui faire obtenir une bourse afin qu'il puisse retourner sur les bancs de l'école. Mon grand-père est ensuite entré dans l'administration et en a gravi un à un les échelons. A la fin de sa carrière, il était secrétaire général de la sous-préfecture, un notable estimé de tous, toujours impeccablement vêtu d'un costume trois pièces et d'un chapeau qu'il soulevait régulièrement dans la rue pour saluer les personnes de sa connaissance.
Il avait fait la guerre de 14 en Macédoine et avait les larmes aux yeux quand il évoquait la noyade de sa jument Estrella dans le port de Salonique. Il se faisait une haute idée de la France et était férocement républicain. Je crois qu'il bouffait volontiers du curé, je ne l'ai jamais vu aller à l'église. En 1978, quand un de mes frères s'est marié, il a été choqué que ma mère se rende au mariage civil sans chapeau. Pour lui, peut-être parce qu'il lui devait beaucoup, la République et ses représentants méritaient le plus grand respect.
Pendant la guerre de 39-45, mon grand-père avait déjà 50 ans passés et était père de cinq enfants. Il est resté à son poste à la sous-préfecture où il n'avait pas encore gravi tous les échelons. Il s'est attiré des ennuis de la part de sa hiérarchie en aidant des familles juives parce que le gouvernement de cette époque ne correspondait pas à son idée de la France. Il a donc fait ce qu'il pouvait en faisant disparaître des morceaux de listes de Juifs. Il ne pouvait pas tout faire disparaître, on l'aurait remarqué tout de suite, alors il coupait la fin des listes ou peut-être supprimait une page ou deux lorsqu'il y en avait plusieurs. L'administration a compris qu'elle devait se méfier de lui et l'a muté d'office à 300 km de chez lui, à un emploi sans responsabilité. Il n'a pu retrouver son Pas-de-Calais qu'après la guerre. Parce que je sais que ça avait de l'importance pour lui, j'ai encadré le parchemin lui décernant la Légion d'Honneur en 1953.
Aujourd'hui où chacun est si prompt à juger, certains diront peut-être qu'il aurait dû faire plus. Il a fait ce qu'il pouvait à son échelle. Beaucoup n'ont rien fait.
Je pense que c'était quelqu'un de bien. En tout cas, c'est ce que pensait le bourrelier juif qui le tenait en haute estime et s'était promis que la famille de mon grand-père ne manquerait jamais de cuir.