vendredi 18 mars 2011


Quand je regarde mes mains, je vois celles de mon père. Longs doigts fins, peau dont la couleur trahit une circulation imparfaite. Des mains de violoncelliste pour mon père, des mains qui se blessent souvent pour moi, je ne suis pas capable d'ouvrir un bocal sans me faire mal. Impossible d'acheter une bague sans que le bijoutier ne doive en réduire la circonférence, sinon ça tombe. Même ce léger tremblement dû aux médicaments me rappelle ses mains.
Ça me  surprend toujours de voir les mains de mon père au bout de mes bras, d'autant que j'ai longtemps revendiqué une ressemblance exclusive avec ma mère. Et pourtant c'est bien de lui que me viennent ma peau blanche, mes boucles, mes taches de rousseur en été, la transformation durable de mon bras en un énorme gigot dur comme du bois à la moindre piqûre de guêpe, les boutons qui se transformaient en cloques quand j'étais petite, le besoin de recourir à des antibiotiques pour une simple piqûre de taon. 
Mon père avait horreur des chochottes, il détestait Jane Birkin ou Vanessa Paradis, la mode le faisait doucement rigoler. Lui qui était par ailleurs la gentillesse même, il avait un jour demandé à une de ses élèves si elle était en pyjama. Ses cravates étaient toutes alignées sur un fil et il en choisissait une par jour, disant que si l'accord avec la chemise ne créait pas un effet d'harmonie, ça créait un effet de contraste. Heureusement, ma mère et moi l'avions finalement convaincu de nous soumettre ses choix de couleurs.
Il détestait le vert, je n'en porte jamais. Il n'aimait pas la tristesse ni le noir. Ses yeux devenaient toujours furtivement brillants quand il évoquait sa mère au cours de la conversation, mais il passait aussitôt à autre chose. Petite, je hurlais de rire quand il me racontait en parlant chti l'histoire de ch'tit cat qui éto mort, on l'a r'mis dans une c'aussette, pis y a r'vi (je ne sais pas pourquoi ça m'amusait temps, cette histoire d'un petit chat qui était mort, qu'on a mis dans une chaussette et qui est revenu à la vie).
J'ai un peu loupé la rencontre avec mon père. Je ne vais jamais au cimetière, je sais qu'il n'y est pas vraiment. Mais j'ai ses mains. Et je n'arrive toujours pas à écouter du violoncelle sans pleurer.

Petit aparté pour la petite poule noire : tu vois finalement, ça ne change rien ;)



12 commentaires:

  1. Très touchée par tes mots
    Je regarde mes mains ...

    RépondreSupprimer
  2. Ma mère me rappelle sans cesse ma ressemblance avec mon père, comme un reproche. Et pourtant j'ai ses mains à elle... ;-) Comme rosaannoma je trouve tes mots très touchants...

    RépondreSupprimer
  3. Tes mains ont fait le bon choix : écrire pour notre plaisir ;)

    RépondreSupprimer
  4. Tes mains tapent joliment sur le clavier.

    RépondreSupprimer
  5. juste dire que je suis passée et que j'ai aimé ce texte

    RépondreSupprimer
  6. Du coup, je me suis demandée de qui j'avais les mains. Je n'ai pas su répondre.

    RépondreSupprimer
  7. Mains d'altiste, non ?
    Très beau texte, Hermione

    RépondreSupprimer
  8. Quel bel hommage, même si vous ne vous êtes pas complétement rencontrés.
    Il nous reste l'héritage :))

    RépondreSupprimer
  9. Ce ne sont pas des mains que j'ai mais des battoirs ! Ma mère à des mains très fines, j'ai donc moi aussi sans doute hérité de celles de mon père, des mains fortes pour soulever et soutenir, moi aussi j'aime mes mains ! Et j'aime aussi ce texte qui nous a toutes fait regarder nos mains ;o)

    RépondreSupprimer
  10. J'aime bien tes billets sur tes parents. ils sont toujours tendres et attachnats sans être passéistes.

    RépondreSupprimer
  11. J'ai aussi raté mon père et j'ai regardé mes mains, elles ne m'évoquent personne...

    RépondreSupprimer
  12. tu fais me poser de drôles de questions toi...
    mes mains...zut, elles me font penser à celles de ma mère...

    RépondreSupprimer