Quand mon père est mort, ma mère ne nous l'a dit que le lendemain. Ils avaient passé une bonne journée, mon père avait fait sa visite mensuelle au médecin, ils avaient rendu visite à une connaissance, fait des courses et acheté du vin. Mon père était un connaisseur en la matière, il en buvait peu mais avec gourmandise et sa cave était variée et bien remplie. Le soir venu, ils se sont couchés et alors que ma mère lisait et que lui somnolait, il a respiré bruyamment, s'est soulevé pour la regarder, son regard s'est brouillé et il est mort. Ma mère a appelé le SAMU, la femme médecin a fait ce qu'elle pouvait mais c'était fini. Elle a demandé à ma mère s'il fallait prévenir quelqu'un ou l'aider de quelque façon que ce soit, ma mère a dit que ça irait. Et elle a passé la nuit à ses côtés dans le lit pour être avec lui une dernière fois, lui faire ses adieux, je suis sûre qu'elle lui a parlé toute la nuit.
Et au matin, elle a téléphoné à mes frères, au mari de ma soeur et à mon mari. Je crois qu'elle a eu peur que ce soit trop dur pour ses filles, elle avait déjà assez de sa propre douleur aussi, elle est passée par nos maris pour adoucir le choc. Il devait être 9 heures du matin, j'étais à mon travail, je suis rentrée à la maison. Comme c'était mercredi, ma fille aînée de 13 ans était là, je lui ai dit tout de suite. Et puis je suis partie à la campagne, vers la maison de famille où mes parents étaient. Ma mère m'a semblé toute petite, je crois que mon grand frère était là. Mon père était au funérarium, c'est là que j'ai fait connaissance avec ces endroits. Ma mère se faisait du souci pour ma deuxième fille, âgée de 10 ans, qui devait rentrer le soir même d'un séjour de dix jours en Vanoise avec sa classe. Quelle tristesse d'accueillir ce bout-de-chou tout content de rentrer avec cette nouvelle.
J'ai passé les trois jours avec ma mère au funérarium, c'est bizarre, je n'en ai pas que de mauvais souvenirs. Je lui ai donné mon gros gilet noir pour qu'elle n'ait pas froid, nous avons parfois ri, pleuré bien sûr, nous nous sommes assises sur le banc qui était dehors, je lui ai donné quelques bonbons qui traînaient dans mon sac quand sa gorge était trop serrée. Depuis, chaque fois que je rafle des bonbons à la caisse d'une station-service ou en payant au restaurant chinois, je pense à ce moment.
Finalement mon autre frère et sa fille sont arrivés d'Amérique après des heures de queue et de contrôles, c'était au mois de septembre 2001. Ma mère était contente qu'il y ait beaucoup de monde à l'enterrement et que la tombe soit couverte de fleurs, elle était sensible aux couronnes venant d'Allemagne qui témoignaient de la réussite de leur projet de jumelage franco-allemand. Je ne sais plus qui a eu l'idée bizarre de revenir prendre des photos l'après-midi, mais j'ai quelques photos surréalistes de nous et des montagnes de fleurs, comme pour garder une trace de ce moment.
C'est pour cela que j'aime les blogs, parce qu'ils ont la possibilité d'arrêter le temps, d'immortaliser et de redonner vie à des moments passés que l'on évoque par écrit, comme par paranthèse à cette époque de vitesse et de soudaineté.
RépondreSupprimerTu sais, je déteste la mort en fait :(
RépondreSupprimerComme le dit Vidocdoc, les blogs permettent de partager ces moments.
RépondreSupprimerGorge serrée à te lire... Si ce n'est déjà fait, je te suggère la BD "Paul à Québec", magnifique... ton récit m'y fait penser...
RépondreSupprimerTon père a eu une belle mort , j'aimerais que tout le monde meurt comme ça .
RépondreSupprimerJ'espère partir aussi "tranquillement" ! C'est formidable que ta mère ait eu le cran de rester auprès de lui et de lui parler ! On ne parle jamais assez aux morts, et on a toujours l'impression culpabilisante de ne pas leur avoir tout dit !
RépondreSupprimerQuand mon frère est mort, mon père l'a appris entre deux consultations. Il est resté toute la journée avec ce secret pour nous laisser encore une journée de paix. Comme ta mère il a voulu nous protéger, tout seul avec sa douleur. Ce n'est que le soir qu'il a appelé ma mère puis un à un les enfants qui lui restaient.
RépondreSupprimerJe pleure en lisant ton billet.
Si cela devait m'arriver, je crois que j'aimerai aussi rester seule avec mon mari, lui dire combien il me manquera.
Récit très émouvant, brutale pour ceux qui restent mais belle mort que de partir ainsi.
RépondreSupprimer@Vidocdoc et Berthoise : c'est vrai que ça me permet de partager ces choses qui sont trop dures pour que je puisse les exprimer oralement.
RépondreSupprimer@lanfeust55 : euh... ça ne change malheureusement pas grand chose ;)
@Céc': je ne connais pas cette BD, je vais essayer de la trouver :)
@Brigitte et Mab : oui vous avez raison, et en plus il avait 81 ans.
@Moune : je crois surtout qu'elle en avait besoin.
@Valérie : Quel poids ton père a dû porter pendant toute cette longue journée ! Ca me glace le sang quand j'y pense.
Mon père est mort lorsque je venais d'arriver à Tel Aviv si sa mémoire avait été encore présente, il aurait été fier de sa fille ainée mais vers la fin de sa vie, il ne parlait plus qu'allemand, langue que nous ne connaissons pas...La mort de ton père a été paisible...heure-bleue
RépondreSupprimerMerci pour ces mots...
RépondreSupprimerUne belle mort, une belle union, et ce bel amour jusqu'au bout de la vie...comme c'est beau et émouvant!
RépondreSupprimerpasser toute une nuit avec son mari qui vient de mourir... c'est très émouvant de lire ça
RépondreSupprimerTa mère (j'ai aussi lu lu le billet précédent!) m'a l'air d'être une personne avec une grande force morale, ainsi que ta grand-mère d'ailleurs...c'est beau à lire!
@HB : sûr qu'il aurait été fier !
RépondreSupprimer@Mir : tes quelques mots me touchent, tant mieux s'ils ont résonné en toi.
@à Marie-Madeleine : oui finalement, une fois la douleur aiguë apaisée, on retient la beauté d'une histoire qu'il n'est pas donné à tout le monde de connaitre.
@Coumarine : moi qui ne pleure pas très souvent, j'ai pleuré en décrivant cette nuit là. C'est beau et déchirant à la fois.
Chère Hermione, il semble que tu en as des choses à dire en ce moment à propos de ta mère. Belle histoire de femmes
RépondreSupprimerBonjour....
RépondreSupprimerJe viens de lire quelques billets (je vous ai découverte par le bord doré des nuages).
Je vais revenir quand j'aurai plus de temps pour vous lire plus longuement...non pour prendre de vos nouvelles car je ne vous connais pas mais pour la qualité de votre écriture !
Je suis sous le charme, vous avez un talent certain pour les mots
Bon week end
Virgnie
Merci Virginie (j'adore votre prénom, tellement que je l'ai donné à ma fille aînée).
RépondreSupprimerJe ne suis pas sûre d'avoir du talent, j'écris juste les mots comme ils me viennent, sans trop de relecture ni de souci de la forme. Mais ça me fait vraiment plaisir que cela vous touche. Bonne journée à vous aussi et à bientôt :)