mercredi 18 mai 2011

Quand je l'ai rencontrée, j'ai aimé son côté dynamique et sincère. Nos enfants devaient être au CE1, quelque chose comme ça. On a commencé à discuter en préparant la kermesse de l'école, on s'est mises l'une à côté de l'autre pour le barbecue du soir qui a suivi cette journée.
Elle parlait beaucoup et avait quelque chose de différent, une sorte de franc-parler et d'humour abrupt qui m'a plu. Une forme d'intelligence de la vie, très loin des théories et des idées fumeuses. Au fil du temps, j'ai compris qu'elle avait vécu des choses très difficiles faites de galères familiales, de parents peu aimants et très peu éduqués. Je crois qu'elle est partie de chez elle très jeune, a dormi dans des endroits improbables, a été victime d'une tentative de viol et a vécu d'autres aventures que je saurai certainement un jour.
Elle n'a aucun diplôme et a toujours durement travaillé pour s'élever dans la société. Elle s'est mariée avec un militaire plus jeune qu'elle. Il a trouvé en elle une femme forte et elle a trouvé en lui un homme plutôt intelligent et posé, ce qui contraste terriblement avec l'agitation qui la caractérise. La première fois que je suis allée chez elle, j'ai jeté un coup d'oeil aux médicaments qui traînaient sur son buffet, j'étais sûre d'y trouver des calmants ou des anxiolytiques, des choses qui attesteraient de son côté un peu limite. Mais je n'ai rien vu.
Elle a beaucoup souffert pendant l'enfance de son fils parce que tout le monde le détestait. Les enseignants l'avaient pris en grippe parce qu'il était à la fois agité et un peu bizarre, pas méchant mais il n'entrait pas dans les cases. Ils pensaient qu'il faisait exprès de ne pas suivre et de perturber la classe par ses lubies. Et bien sûr ils ont pris la mère en grippe, puisqu'elle était elle aussi en quête de réponses et cherchait de l'aide de la part des enseignants. Ce qui est souvent une erreur fatale, du moins avec ceux-là...
Ce n'est qu'après avoir déménagé dans une ville plus grande à cause d'une mutation de son mari qu'un médecin lui a appris que son fils était épileptique. Il avait des absences qui faisaient qu'il ne suivait pas à l'école, mais personne ne l'avait compris. Il faisait des crises pendant son sommeil et personne ne le voyait. Il était fortement déprimé à cause du rejet dont il faisait l'objet, mais personne ne l'avait compris puisqu'il se rendait agaçant à force d'essayer d'attirer l'attention.
Maintenant il a 20 ans et il va bien. Il a été scolarisé en Bretagne dans un centre spécialisé et son épilepsie a guéri parce qu'elle était liée à une immaturité du cerveau qui passe avec l'âge. Il va entrer dans l'armée parce qu'il n'a aucun diplôme et a besoin d'être cadré d'après sa mère, heureusement qu'il reste cette solution.
Mais ma copine est dévastée pour toujours et chaque fois qu'elle m'appelle, dix ans après, il y a toujours un moment où elle me reparle de l'instituteur du CP, le premier à avoir pris son fils en grippe sans même avoir l'idée de faire venir le psychologue scolaire. Alors même si ça prend une heure à chaque fois, même si elle me bouffe un peu mon énergie en déversant son stress sur moi, même si c'est elle qui parle pendant presque la totalité de nos conversations, je l'écoute avec plaisir. Et je suis contente de constater en raccrochant que son débit s'est ralenti au fil de la conversation, qu'elle a fini par me laisser en placer une, qu'on a ri et qu'elle se sent mieux. C'est peu de chose par rapport à tout ce que la société lui a fait subir à travers son regard réprobateur, que ce soient les enseignants ou les autres parents d'élèves qui la regardaient d'un air ironique.
Moi elle m'a toujours touchée. Et elle m'a aussi apporté beaucoup d'une certaine façon, une ouverture sur un monde qui n'est pas le mien, moi qui évolue dans le monde douillet des gens qui ont eu la chance d'avoir une famille aimante, des enfants intégrés, des fins de mois sans problèmes et des vacances à l'étranger. Elle, elle viendrait bien me voir mais elle a peur de prendre le métro à Paris parce qu'il faut changer de gare. Et ça me touche infiniment plus que les angoisses nombrilistes de certains, parce qu'elle a de vraies raisons d'avoir des angoisses.


11 commentaires:

  1. Cette histoire me touche énormément, vraiment. Peut-être parce que c'est de ces enfants que je me souviens le plus, ceux dont on disait qu'ils étaient inadaptés ou caractériels ou...bref dont aucune instit ne voulait lors de la répartition et que j'avais pris l'habitude de prendre dans ma classe parce qu'il y avait quelque chose d'apaisant chez moi, et parce qu'ils me touchaient beaucoup.

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  2. Une belle amitié, franche et pleine d'émotions.
    On a tous des raisons, parfois, nombrilistes ou non de nous laisser aller. D'avoir des angoisses, qu'on ait été choyé ou non. Il n'y a pas, à mon sens, d'échelle de souffrance.
    Seulement une perception différente.
    Des pensées :))

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  3. Merci Marie-Madeleine, ça me touche que ça te touche :)
    Cloudy, je suis entièrement d'accord et je ne suis pas la dernière à stresser face à mon propre nombril. Alors disons juste qu'il y a des gens qui ont des raisons objectives d'angoisser, en plus de toutes les raisons subjectives qu'on a tous :))

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  4. Je crois que sentir son enfant rejeté est quelque chose de terriblement douloureux. Je l'ai eu à moindre échelle, alors que G. était tout jaune et faisait apparemment très peur aux gens qui pensaient qu'ils risquaient leur peau à s'approcher de lui.
    Elle a eu la chance d'avoir non seulement un mari aimant, mais que le changement de ville lui ait permis de faire diagnostiquer son fils.

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  5. Une amitié solide qui apporte quelque choses à vous 2.

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  6. C'est rare d'avoir une famille idéale , quand elle ne l'est pas on se construit tout de même , avec le phénomène de résilience et on peut devenir riche de tout ce passé douloureux , plus humaine .

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  7. Il m'arrive de repenser à des enfants qui étaient avec moi en primaire, et qui étaient les têtes de turc de certaines instits (je pense à une instit en particulier).
    Je repense à une fille, notamment, qui était mauvaise élève, et d'une timidité maladive. Elle rougissait à la moindre remarque. La "maîtresse" l'humiliait fréquemment. Je sentais bien que ce n'était pas normal, mais elle représentait l'autorité, indiscutable. Je me demande si cette fille a réussi à se construire malgré ce comportement sadique de l'enseignante.

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  8. Un très beau portrait, comme toujours très touchant

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  9. "Avoir des amis différents de soi enrichit."
    Ouais, je pontifie, des fois.

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  10. L'amitié n'a pas de prix, il faut la garder comme un bien précieux :-)

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  11. "Parce que c'était lui, parce que c'était moi" Moi aussi je pontifie comme ma copine Berthe, mais l'amitié c'est sûr que c'est important...

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