lundi 26 avril 2010


Quand ma mère fait un grand voyage, ou même parfois sans raison, elle me rappelle ce que je devrai faire après sa mort. Elle a un cahier où tout est écrit. Les placements bancaires, les assurances-vie, le marbrier à prévenir, la mutuelle qui prend en charge une certaine somme, l'endroit où la clé du coffre est cachée (le coffre contient essentiellement de vieilles alliances dont on a depuis longtemps oublié le propriétaire, des diplômes universitaires, peut-être le premier triton d'un de mes frères ou un accessit de solfège de ma sœur ou moi).
Elle est contente de pouvoir m'en parler, ça lui fait du bien de savoir que tout est en ordre et que nous ne serons pas pris au dépourvu par le côté matériel. Ça l'agace que mon frère aîné pousse des cris et l'arrête lorsqu'elle essaie d'aborder le sujet. Il refuse d'envisager l'hypothèse que sa mère puisse mourir.
Moi j'écoute ma mère en souriant, je lui demande quand elle aura fini ses mémoires d'outre-tombe, on en rit en disant que ça ne fait pas mourir d'en parler.
Si je ne savais pas que ce n'est pas sa faute, je trouverais la réaction de mon frère égoïste. Mais il n'y peut rien, c'est un grand anxieux très attaché à sa maman, il ne peut même pas envisager l'idée. J'aime beaucoup ma mère aussi, je sais qu'elle me manquera terriblement le jour venu, bien plus que tout ce que je peux imaginer, mais je sais qu'une dame de 87 ans peut décemment envisager de mourir sans que ce soit scandaleux. Et je pense que la meilleure façon de l'accompagner, c'est d'accepter d'envisager cette idée avec elle. Je pense que pour partir serein, il faut savoir que ceux qu'on laisse vont l'accepter. Souffrir bien sûr, pleurer, mais qu'ils garderont le meilleur de nous pour que ce soit une force vivante en eux, pas un chagrin inconsolable.
Je tire peut-être cette quasi certitude de la personnalité de ma mère. Elle a une volonté de fer, une vitalité incroyable, une force de vie hors du commun. Je pense que cette petite flamme ne s'éteindra jamais vraiment et que j'en garderai une parcelle en moi. Mais je sais que si j'ai la chance d'être à ses côtés le jour où elle s'éteindra, je lui dirai qu'elle peut partir, que tout se passera bien pour nous, que je m'occuperai du notaire, des terrains, de la maison et de mon grand frère s'il a trop de chagrin.

14 commentaires:

  1. J'admire et j'envie. J'avoue que je ne ressens pas suffisamment d'amour ou même d'intérêt pour ma mère pour me sentir concernée par sa mort, mais en revanche, je ne sais si j'aurais été si calme à ce sujet avec mon père.. encore que.. j'étais trop jeune quand il est mort (16ans) et s'il m'avait laissé le temps de grandir, peut-être aurais-je été ainsi.. en tous cas, te lire fait du bien.

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  2. Je crois effectivement qu'il y a une énorme différence entre quelqu'un qui meurt trop tôt et quelqu'un qui a vécu une longue vie riche et laissera des adultes entièrement construits. Quand j'avais 16 ans, moi non plus je n'aurais pas du tout été prête.
    Bonne soirée ! :)

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  3. Mon fils ainé est comme ton frère, il ne veut pas que nous abordions le sujet, son père et moi, devant lui. Maman disait : "faire son testament n'a jamais fait mourir personne".

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  4. Ton billet résonne en moi particulièrement. Bien sûr qu'il faut en parler, prévoir et accepter. Les hommes sont sans doute plus fragiles.

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  5. Ce que tu écris est joliment tourné et me touche. Ma mère est plus jeune que la tienne (75 ans seulement !) et ne parle jamais de sa mort. Mon père non plus, d'ailleurs. Les connaissant, je sais que le moment venu, tout sera parfaitement en ordre. Et puis, j'ai une sœur notaire, de ce côté, on est paré. Côté chagrin, c'est autre chose... Je serai plutôt entre ton frère et toi, n'en parlons pas ... mais préparons nous.

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  6. A son âge, elle apprivoise la mort et elle a de la chance de t'avoir...

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  7. Cela ne fait qu'un an que ma mère évoque ce départ, mais sans que l'on en parle franchement, pourtant c'est un pas énorme qu'elle fait et je la laisse prendre son temps.
    Je sais que mon chagrin sera immense, mais je sais que comme toi je garderai éternellement leur flammes et je suis soulagée d'avoir pu régler nos problèmes gigantesques avant qu'ils ne me quittent.

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  8. Je pense qu'il ne faut pas éluder la mort si un de nos proches en parle , malade ou en bonne santé , c'est respecter la personne et ce qu'elle pense Je dis ça mais mon mari a du mal de parler de la mort alors qu'il est croyant, trop sensible sans doute . Ma mère , pourtant qui n'a plus sa tête dit qu'elle sera centenaire !

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  9. Ca m'étonne toujours que les croyants aient peur de la mort. Je pensais qu'ils étaient supposés aller vers le Père Eternel... mais rien n'est si simple, même pour eux.

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  10. Ton texte me touche beaucoup, Hermione, je viens d'aller voir mes parents une petite semaine et aider mon père à organiser l'hospitalisation à domicile de ma mère qui entre diabète, dyalises et col du fémur cassé arrive au bout du voyage. Mais plutôt que de faire un com long comme un jour sans pain, je vais prendre le temps de te répondre sur mon blog. En tous cas c'est bien que ta mère ait pu en parler avec toi de "l'après elle", En fin de vie on a besoin de pouvoir aborder le thème de la mort sans que ça déstabilise trop ceux avec qui on en parle. Résultat, peu de gens qui en ont besoin pourtant peuvent aborder ce sujet crucial et ça rajoute de l'angoisse et du mal être chez ceux qui vont mourir.

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  11. C'est un bien beau texte qui éveille des échos en moi. Je n'ai pas l'âge de ta maman, et pourtant je prépare aussi mon départ. Mais mes enfants ne sont pas encore prêts; Alors c'est leur père qui le moment venu fera le lien. Difficile pour des enfants dans la trentaine de projeter la fin de vie de leur mère. Il y a un âge pour chaque chose.

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  12. quel texte plein de pudeur et d'amour. Mais attention ne deviens la maman d eton frère ;-)

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  13. la petite flamme...c'est le relais qu'elle te passera!

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