mardi 5 janvier 2010


Mes beaux-parents sont des personnes de devoir. Je crois qu'ils n'ont jamais été vraiment heureux dans la vie. Ils viennent d'un tout petit village du sud de l'Aveyron, là où c'était encore un peu le moyen-âge quand ils étaient petits. Lui a perdu son père tout gamin, sa mère a élevé seule ses trois filles et son petit-dernier. Elle s'occupait de la petite maison et des enfants, et aussi de deux neveux orphelins à un moment je crois. Elle gardait les brebis, sonnait les cloches de l'église et faisait en plus de petits travaux pour gagner un peu d'argent, comme par exemple couper la paille en petits fagots après les moissons. Deux de ses filles ont commencé à travailler à peine sorties de l'enfance comme couturières chez les gens qui avaient besoin de leurs services. L'autre est devenue religieuse. Plus par devoir que par vocation, elle non plus n'a pas été très heureuse. Mon beau-père a toujours vénéré sa mère. Quand je l'ai connue, Mamie Rachel était déjà très âgée. C'était une toute petite bonne femme maigre, son éternel petit chignon rabougri coiffé d'un béret.
Le père de ma belle-mère était un aventurier pour son époque. Il adorait le vélo et le Tour de France et était parti s'installer à Paris avec sa femme pour y faire fortune. Je crois qu'il travaillait dans un garage, il aimait la mécanique. Ma belle-mère est née à Paris, dans le quartier que Robert Sabatier décrit dans "Les allumettes suédoises". Sa mère était très dépressive, elle a été hospitalisée un moment et ma belle-mère était hébergée chez sa tante, toujours à Paris. Quand Pépé Jean a amassé assez d'argent pour s'acheter une petite ferme, ils sont rentrés dans l'Aveyron.
Mes beaux-parents ont toujours fait passer le devoir avant tout. Il n'étaient pas très riches et avaient trois enfants. Ils étaient profondément catholiques et ont choisi de mettre leurs enfants à l'école privée, quitte à faire des sacrifices financiers. Tout ça pour que leur fils, qui a fréquenté l'école de garçons Saint-S... de la maternelle à la terminale, épouse une mécréante, ne se marie pas à l'église et ne baptise pas ses deux filles. Mais j'ai trop de respect pour les vrais croyants, même si je ne les comprends pas vraiment, pour accepter un mariage religieux de façade, juste pour avoir une cérémonie et de la musique. En plus j'ai horreur de l'orgue.
Quand je pense à leur vie, ça m'attriste un peu. Ils ne vont jamais au restaurant sauf les jours de trajet vers l'Aveyron (le travail de mon beau-père les a amenés dans l'Est dans les années soixante), il faut bien passer une nuit à l'hôtel vu la distance. Ma belle-mère n'est jamais allée à l'étranger et ne connaît presque rien de la France. Elle rêve encore de ses années d'enfance à Paris mais n'y est jamais retournée. Elle se reprend si le mot "j'adore" lui échappe et rectifie "on n'adore que Dieu seul". Son éducation austère l'a empêchée de montrer de la tendresse à ses deux filles et leur relation en souffre. En revanche, elle idolâtre son fils, peut-être aussi parce qu'il "remplace" un autre fils mort enfant. Et puis dans son éducation, les filles sont faites pour le devoir, il faut les éduquer, leur apprendre les tâches ménagères et tout le reste. Un garçon ce n'est pas pareil.
Je pense souvent à eux quand je laisse la vaisselle pour aller voir un film, quand je choisis d'aller me promener au lieu de passer l'aspirateur, quand je remets à demain ce que j'aurais pu faire le jour même. Il faut s'occuper de soi pour être heureux. Pas que de soi bien sûr, mais préférer un bon fou-rire à une maison impeccable, sauter dans les flaques avec un petit sans penser aux taches sur ses vêtements, s'asseoir un moment avec son mari le soir pour discuter de tout et de rien avant d'appeler les enfants, tant pis s'ils mangent un peu en retard. C'est ça qui leur a manqué pour être heureux.

9 commentaires:

  1. Même chez les cathos très cathos on dit que "charité bien ordonnée commence par soi-même" et quelque part dans l'évangile, Jésus parle de s'aimer soi-même. Mais j'ai mis plus de 40 ans à me délivrer du carcan femme-sacrifice pour les autres, et parfois encore,je m'y retrouve.

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  2. c'est un beau billet que tu signes là plein de respect, d'émotion et de tendresse...

    Bonne année !

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  3. Mab me pique souvent mes commentaires, c'est une femme de devoir...

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  4. Je n'arrive pas à poster , 2 commentaires ne sont pas apparus

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  5. Je n'avais pas vu les lettres à taper , je disais que l'empreinte de la petite enfance provoquait soit la continuité de ce qu'on a vécu , soit un changement radical de notre façon de vivre , j'espère que ta belle-mère n'a pas de regrets ;

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  6. Oui, un bien joli billet que tu nous livres là, tout en pudeur, en finesse et empreint de respect pour tes beaux-parents que tu aurais pu, par facilité, critiquer au contraire. Bonne année 2010 à toi.

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  7. j'adore ce que tu écris! J'ai fait un lien dans mes découvertes

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  8. Ca m'étonne toujours un peu qu'on me lise, et plus encore qu'on aime ça !
    Merci Marie-Madeleine, ça me touche vraiment :)

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